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  • Photo du rédacteurMarc Fraissinet

Le corps n’oublie rien de Bessel van der Kolk (2014)



Tous les signes qu’on perçoit d’instinct pendant un dialogue – les tensions du visage de l’autre, les mouvements de ses yeux, la vitesse et le ton de sa voix – comme les fluctuations de notre paysage intérieur – salivation, respiration et rythme cardiaque – sont liés par un seul système régulateur. Ils sont tous le fruit de la synchronisation entre les deux branches du système autonome (SNA) : l’axe sympathique, qui agit comme un accélérateur, et l’axe parasympathique, qui sert de frein. Ce sont les « réciproques » (c’est –à-dire les opposés) dont parlait Darwin, et ensemble ils jouent un rôle important dans la gestion de l’énergie du corps : l’un prépare sa défense, l’autre sa conservation.


Le système nerveux sympathique (SNS) est chargé de l’excitation, qui inclut la réponse de lutte ou de fuite (le « comportement de fuite ou d’évitement de Darwin). Il y a prés de deux millénaires, le médecin grec Galien a nommé ce système « sympathique » parce qu’il avait remarqué qu’il fonctionnait avec les émotions (sym pathos). Le système nerveux sympathique fait affluer le sang vers les muscles en vue d’une action rapide, entre autres en stimulant la sécrétion d’adrénaline par les surrénales, ce qui accélère le rythme cardiaque et augmente la pression artérielle.


La seconde branche du système nerveux autonome est le système parasympathiques (ou SNP, « contre les émotions »), qui sous-tend les fonctions d’autoconservation comme la digestion et la cicatrisation. Il provoque la libération d’acétylcholine pour freiner l’excitation, ralentir le cœur, relâcher les muscles et ramener la respiration à la normale. Comme l’a fait remarquer Darwin, s’alimenter, s’abriter et s’accoupler sont des activités qui dépendent du système nerveux parasympathique.


En 1994, Stephen Porges a présenté la théorie polyvagale, fondée sur les premières observations de Darwin et les cent quatre années de découvertes scientifiques faites depuis. (Le terme « polyvagale » désigne les multiples branches du nerf vagal – le nerf « pneumogastrique » de Darwin – qui relie le cerveau à de nombreux organes, comme le cœur, les poumons, les intestins, et l’estomac.) Cette théorie a considérablement affiné la compréhension de la biologie de la sécurité et du danger, qui repose sur l’interaction subtile entre nos expériences viscérales et les visages et les voix de notre entourage. Elle a permis d’expliquer pourquoi un visage bienveillant ou un ton apaisant peut changer radicalement ce que l’on éprouve ; se savoir vu et entendu par les personnes que l’on chérit peut donner une sensation de calme et de sécurité ; le rejet et l’indifférence peuvent engendrer des réactions de rage ou d’effondrement psychique. Enfin, elle a précisé les raisons pour lesquelles une empathie profonde peut nous sortir d’un état de confusion ou de crainte.


La théorie de Porges, dépassant la seule perspective de lutte ou de fuite, a placé les rapports sociaux au cœur de la compréhension du traumatisme. Elle a également suggéré de nouvelles méthodes de guérison, axées sur le renforcement du système physiologique qui régule l’excitation. L’homme est très sensible aux fluctuations émotionnelles des personnes (et des animaux) qui l’entourent ; de légères variations dans la tension du front, des yeux, des lèvres ou dans la position de la tête nous signalent rapidement si notre interlocuteur est à l’aise, détendu, effrayé ou méfiant. Nos neurones miroirs enregistrent ce qu’ils perçoivent, et notre corps s’adapte intérieurement à cette information. De même, les muscles de notre visage annoncent aux autres si on est excité ou calme, si notre cœur s’emballe, si on est prêt à fuir ou à se jeter sur eux. Quand le message reçu est : « tu n’as rien à craindre de moi », on se détend. Si, par chance, les gens de notre entourage sont bienveillants, on se sent réconforté en leur présence.


Le soutien social ne consiste pas en la présence des autres. Le facteur crucial est la réciprocité : être vraiment vu et entendu par notre entourage, sentir qu’une autre personne nous porte dans son cœur. Pour que notre organisme se calme, guérisse et s’épanouisse, il nous faut un sentiment viscéral de sécurité.


Chaque fois qu’on se sent menacé, on se tourne d’instinct vers l’engagement social – en cherchant une aide et un réconfort chez les personnes de notre entourage. Mais si aucune ne nous répond, ou si le danger est imminent, on revient à un mode de survie plus primitif : la lutte ou la fuite. On ne peut pas s’enfuir, on est cloué au sol ou coincé – l’organisme tente de se préserver en se fermant et en dépensant un minimum d’énergie. On se trouve alors en état d’immobilisation ou d’effondrement. C’est là que le nerf vague aux multiples branches intervient. Son anatomie est essentielle pour comprendre comment on réagit à un traumatisme. Le système d’engagement social dépend de nerfs qui partent ses centres régulateurs du tronc cérébral, principalement le nerf vague et des nerfs voisins qui activent les muscles du visage, de la gorge, de l’oreille moyenne ou du larynx. Quand le complexe vagal ventral (CVV) mène le jeu, on répond aux sourire des autres, on hoche la tête lorsqu’ils acquiescent et on fronce les sourcils en entendant les malheur d’un ami. Il envoie aussi des signaux au cœur et aux poumons, ralentissant le rythme cardiaque et amplifiant la respiration. En conséquence, on se sent plus calme et détendu, concentré ou agréablement excité. Toute menace à notre sécurité ou à nos liens sociaux a des effets sur les zones innervées par le système vagal ventral. Quand survient un événement alarmant, nous montrons aussitôt notre angoisse par des expressions faciales et le ton de notre voix, pour faire signe aux autres de nous venir en. Mais si personne ne réagit, la menace augmente et le cerveau limbique intervient. Le système nerveux sympathique prend le relais, mobilisant nos muscles, notre cœur et nos poumons pour la lutte ou la fuite. Notre voix devient plus stridente, notre cœur s’accélère. Si un chien se trouve dans la pièce, il peut s’agiter et gronder, mis en alerte par l’odeur de notre sueur. Enfin s’il n’y a aucune issue, que nous ne pouvons rien faire pour empêcher l’inévitable, nous activons l’ultime système d’urgence : le complexe vagal dorsal (CVD), la parie dorsal du système vagal qui par son action sur l’estomac, l’intestin et les reins réduit alors radicalement notre métabolisme. Notre rythme cardiaque s’effondre (on sent le cœur « lâcher »), on ne peut plus respirer, et nos tripes se bloquent ou se vident. C’est le moment où l’on se désengage, où on s’effondre et on s’immobilise.


A la fin des années 1940, Bowlby était devenu persona non grata dans le milieu psychanalytique britannique pour avoir déclaré que le comportement perturbé des enfants était une réaction à des épreuves réelles – négligence, brutalité et séparation – et non le produit de fantasmes sexuels infantiles. Cela ne l’a pas empêché de consacrer le reste de sa vie au développement de ce qu’on appelle la « théorie de l’attachement ».


A mesure que l’enfant grandit, il apprend peu à peu à prendre soin de lui, à la fois physiquement et émotionnellement. Mais c’est la manière dont les autres s’occupent de lui qui le guide en cela. Maîtriser l’art de l’autorégulation dépend en grande partie du degré d’harmonie de ses premières relations avec ses proches. Les enfants dont les parents sont des sources sûres de force et de bien-être possèdent un avantage à vie – une sorte de pare-choc contre les pires coups du sort.

L’enfant a un besoin physiologique de s’attacher – il n’a pas le choix, c’est un instinct de survie. Que les parents soient aimants ou distants, rejetants ou maltraitants, il développera une stratégie d’adaptation pour qu’ils répondent au moins à certains besoins.


Personne ne peut « soigner » une guerre, un abus sexuel, un viol, une agression – ni aucune autre atrocité ; les horreurs du passé ne peuvent être annulées. Ce que l’on peut traiter, ce sont les traces que le traumatismes laisse sur le corps, l’esprit et l’âme : la sensation d’oppression dans la poitrine qu’on peut étiqueter comme anxiété ou dépression ; la peur de perdre le contrôle ; la vigilance constante par crainte d’un danger ou d’un rejet ; la haine de soi ; les cauchemars et les flash-back ; la brouillard qui empêche de se concentrer et de s’investir pleinement dans ce qu’on fait ; l’incapacité à ouvrir tout son cœur à une autre personne.

Le traumatisme ne se ramène pas à l’histoire d’un événement passé. Les émotions et les sensations physiques qui se sont imprimées quand il a frappé sont vécues, non comme des souvenirs, mais comme des réactions perturbatrices dans le présent.


Comprendre pourquoi on éprouve quelque chose ne change pas ce que l’on ressent (l’estomac noué, le cœur qui s’emballe, la respiration qui s’accélère, la gorge serrée ou les postures typiques de la défense, de la rage, de la rigidité ou de l’effondrement). Cela peut, toutefois, empêcher de céder à des réactions extrêmes, mais plus on est épuisé, plus les émotions reprennent le pas sur le cerveau rationnel. L’essentiel, quand on veut surmonter un stress traumatique consiste à rétablir l’équilibre entre les cerveaux émotionnel et rationnel, pour pouvoir se sentir maître de ses réactions et diriger sa vie.

Si on veut changer les réactions post-traumatiques, il faut accéder au cerveau émotionnel et pratiquer une « thérapie du système limbique » - c'est-à-dire réparer les systèmes d’alerte défectueux pour que le cerveau émotionnel vaque à ses tâches habituelles : offrir une présence calme et discrète qui se charge de l’entretien du corps en veillant à ce qu’on mange, dorme, échange avec ses proches, protège ses enfants et se défende contre le danger.


Le neuroscientifique Joseph LeDoux et ses collègues ont montré que la seule manière d’accéder au cerveau émotionnel passe par la conscience de soi, c’est-à-dire par l’activation du cortex préfrontal médian, la zone du cerveau qui remarque ce qui se passe en soi et permet de ressentir ses émotions. Le seul moyen de changer ce que l’on éprouve est de prendre conscience de son expérience intérieure et de pactiser peu à peu avec elle. (Le nom technique de ce processus est « l’intéroception » - du latin, « regarder à l’intérieur ».)

Les traumatisés ont souvent peur de ce qu’ils éprouvent. Ce sont moins leurs bourreau (qui, on peut l’espérer ne sont plus là pour leur nuire) que leurs sensations physiques qui sont devenus l’ennemi. L’angoisse d’être envahi par des sensations pénibles maintient leur corps bloqué et leur esprit fermé. Même si le traumatisme appartient au passé, leur cerveau émotionnel continue à produire des sensations qui les effraient et les paralysent. Il n’est guère étonnant que de nombreux traumatisés soient boulimiques, alcooliques, craignent de faire l’amour et évitent les activités sociales : leur monde sensoriel est déjà saturé.


Pour sortir de ce cercle vicieux, ils doivent s’ouvrir à leur expérience intérieure ; Le premier pas consiste à s’autoriser à se concentrer sur leurs sensations et à remarquer qu’à l’inverse de l’expérience toujours présente du traumatisme, les sensations sont passagères et réagissent à de légers changement de position, de respiration et de mode de pensée. Une fois qu’on prête attention à ses sensations, on doit apprendre à les définir. Pratiquer la pleine conscience calme le système nerveux sympathique, ce qui rend moins sujet à se retrouver dans la lutte ou la fuite. Apprendre à observer et à supporter ses réactions physiques est une condition essentielle pour revisiter le passé sans risque. Si on ne peut pas tolérer ce qu’on éprouve sur le moment, replonger dans le passé ne fera qu’aggraver la souffrance et le traumatisme.


On peut supporter une bonne dose de mal-être, tant qu’on garde à l’esprit que les turbulences du corps varient sans cesse. A un moment donné, on sent sa poitrine se serrer mais, après avoir pris une longue inspiration, suivie d’une expiration lente, cette sensation décroît et il arrive qu’on observe autre chose, peut-être une tension dans l’épaule. On peut alors commencer à explorer ce qui se passe lorsqu’on inspire plus profondément et qu’on constate que sa cage thoracique se dilate. Quand on est plus calme et plus curieux, on peut revenir à cette sensation dans son épaule. Souvent, chose peu étonnante, un souvenir surgit spontanément auquel cette épaule est liée d’une façon quelconque.


L’étape suivante consiste à observer l’interaction entre ses pensées et ses sensations. Comment certaines pensées s’expriment-elles physiquement ? S’apercevoir comment son corps enregistre des émotions et des impulsions que l’on a pu bloquer autrefois pour survivre.


Les adultes effrayés répondent aux mêmes modes de réconfort que les enfants terrifiés : ils doivent être enlacés et bercés, sentir qu’une personne plus forte prend les choses en main et qu’ils peuvent s’endormir tranquillement. Pour pouvoir se remettre, l’esprit, le cerveau et le corps doivent être convaincus qu’ils peuvent lâcher prise. Ils ne se laissent aller que s’ils se sentent viscéralement protégés et peuvent associer ce sentiment de sécurité à des souvenirs de situations d’impuissance.


Après un traumatisme aigu – agression, accident ou catastrophe naturelle – on a besoin de voix et de visages familiers, de contact physique, de nourriture, d’un refuge et de sommeil. Il est crucial de communiquer, de prés ou de loin, avec les êtres aimés, et de retrouver le plus tôt possible sa famille et ses amis dans un cadre rassurant. Les liens d’attachement sont la plus grande protection contre la menace.

Les traumatisés se remettent grâce aux relations humaines : avec leur famille, leurs amis, les membres de leur association, leur Eglise ou des thérapeutes professionnels. Le rôle de ce lien est de leur donner une sécurité physique et émotionnelle – ne pas se sentir blâmer ou juger – et le courage de supporter et d’affronter la réalité de ce qui s’est passé.


Comme nous l’avons vu, une bonne partie des connexions des circuits cérébraux est consacrée à l’harmonie avec autrui. Pour venir à bout du traumatisme, il faut renouer avec ses semblables. Voilà pourquoi un traumatisme lié aux relations humaines est généralement plus difficile à traiter que ceux dus aux accidents de la route ou aux catastrophes naturelles. Dans notre société, les traumatismes les plus courants des femmes et des enfants sont causés par leurs conjoints et leurs parents. La violence conjugale, la maltraitance et les abus sexuels infantiles sont tous infligés par des gens censés aimer leurs victimes. Cela brise le plus grand rempart contre le traumatisme : la protection offerte par ceux que vous aimez.


Entre la fin du XIX siècle, l’époque de Freud et de Janet, et la seconde moitié du XX siècle, l’hypnose a été le traitement le plus courant contre le traumatisme. (Sur YouTube, dans Que la lumière soit de John Huston 1980). L’hypnose peut induire un état de calme relatif, où l’on peut examiner sans danger ses expériences traumatiques. Comme cette aptitude à s’observer tranquillement est un facteur crucial de l’intégration des souvenirs traumatiques, il est probable que l’hypnose, sous une forme quelconque, connaîtra une nouvelle vogue.


Quand les gens sont chroniquement effrayés ou furieux, leur tension musculaire constante finit par causer divers problèmes physiques : spasmes, lombalgies ou migraines, fibromyalgie et autres formes de douleur chronique. Ils peuvent consulter de nombreux spécialistes, subir des examens approfondis et se voir prescrire quantité de médicaments, dont certains pourront les soulager temporairement – mais aucun ne traitera leurs problèmes sous-jacents. Leur réalité sera finalement définie par leur diagnostic médical, qui ne sera jamais considéré comme un symptôme de leur tentative de gérer un traumatisme.


Marc Fraissinet hypnopraticien à Poitiers vous reçoit pour des séances d'hypnose dans son cabinet.

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